Les règles qui ne fonctionnent pas on les change. Cette simple considération a été refusée pendant plus de cinq ans par les dirigeants de l'Union Européenne et en particulier son noyau central, l'Allemagne dirigée par le duo Merkel-Schäuble. Maintenant, devant la possibilité de plus en plus réelle que l'accord avec la Grèce de Syriza se conclue par un compromis pessime (pessime pour les deux parties) ou bien par un défaut (ce qui impliquerait quand même des pertes considérables pour les « créanciers », à savoir l'UE, la BCE et FMI), l'inflexibilité inamovible teutonne est sur le point de donner naissance à un changement de règles. Naturellement à son propre avantage exclusif.
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par Claudio Conti
Un journal très attentif aux mécanismes financiers européens comme IlSole24Ore nous dit en effet que
« Le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, a chargé des experts d'élaborer un plan qui permettra à un pays de la zone euro de lancer une procédure de restructuration ordinaire de la dette en cas de défaut, qui lui permette d'éviter la sortie de l'euro. Cela a été révélé par le journal allemand Der Spiegel, sans citer de source. »
Mieux vaut tard que jamais, pourrait penser un optimiste mal informé. En fait
« Sur la base de l'expérience grecque, le nouveau mécanisme limiterait les aides d'État et ferait retomber le fardeau de la faillite  sur les épaules des investisseurs et des détenteurs d'obligations d'État. L'idée de Schaüble, selon Der Spiegel, est d'éviter que « les pays aux finances publiques saines soient vulnérables aux  chantage des pays dans le besoin. » Au nouveau mécanisme travaillent des techniciens du ministère des Finances ainsi que des experts extérieurs. L'hypothèse Schaüble consisterait donc en une modalité pour limiter les aides de la part des États, tout en jetant le fardeau sur les détenteurs d'obligations du pays en question. »
Où est la nouveauté ? Dans le renversement du mécanisme adopté justement avec le déclenchement de la la crise grecque. À l'époque Athènes avait des dettes avec des sujets dont la majeure partie étaient des privés (banques, assurances, fonds d'investissement, etc.), principalement ayant leur siège en Allemagne, France, Grande-Bretagne. L'Allemagne et la France ont imposé la « solution »: transformer ces créances privées en créances publiques (à charge précisément de l'UE, la BCE et FMI), tout en accordant des prêts à la Grèce afin qu'elle puisse rembourser les banques privées. Dans la pratique, de cette façon, étaient sauvées les institutions financières privées qui avaient trop joyeusement accordé des crédits aux Grecs, en évitant leur perte et peut-être même quelques faillites.
Une véritable socialisation des pertes que Berlin pensait pouvoir couvrir en imposant à Athènes (ainsi qu'en Espagne, Portugal, Italie, Irlande, Chypre et dans une moindre mesure, d'autres pays) une cure d'austérité basée sur la réduction des dépenses publiques, du welfare, du marché du travail pour retourner ces dettes accumulées au cours de la phase de l' « euphorie irrationnelle » pré-crise.
Malheureusement pour les ordo-libéraux  teutoniques, leurs théories macroéconomiques se sont révélées désastreuses, et donc leurs prévisions – malgré le sang matériellement versé par les Grecs et non seulement – ne se sont pas vérifiées. Cette dette grecque est de fait impayable (avec la « cure » de la Troïka elle est passée même de 128 à 180% du PIB!), n'importe quelle autre imposition ne peut être acceptée par Athènes. Donc, il faut courir aux abris et changer les règles du jeu pour éviter que la situation puisse se répéter avec des pays beaucoup plus « lourds », comme l'Italie et l'Espagne, ou peut-être même la France. Pour avoir une dimension monétaire, il suffit de penser que l' « insoutenable » dette grecque s'élevait il y a cinq ans à un peu plus de 200 milliards d'euros, tandis que celle Italienne a dépassé depuis longtemps les 2000).
Le plan allemand est donc conceptuellement simple: nous revenons à la règle précédente, et que ce soit les prêteurs qui prennent en charge le risque. Il suffit que « nous » (les gouvernements des pays les plus puissants), n'ayons plus à intervenir en secours. Quelque chose de ce genre a été déjà fait du reste avec Chypre, où il n'y a eu aucun bail out (sauvetage externe pris en charge par l'UE), mais seulement unbail in à charge des investisseurs et des déposants avec plus de € 100.000 déposés (la limite garantie par les Etats).
Une inversion de position si radicale sauvegarde certainement les comptes allemands (néerlandais, finnois, etc.), mais a deux énormes répercussions étroitement liées. De fait, on déclare que l'Union Européenne est tout sauf une communauté d'états solidaires en son intérieur, en mesure de garantir ses propres membres. Par conséquent, les « marchés financiers internationaux » devront enregistrer cette nouvelle (avant même qu'elle se réalise) dans leurs propres plans d'investissement.
Et qu'est-ce que feront jamais ces « marchés »? Simple: ils retireront progressivement leurs investissements des pays « à risques » (toujours les mêmes, les PIIGS), demanderont des taux d'intérêt beaucoup plus élevés aux actuels (en dépit de l'assouplissement quantitatif de la BCE), se garderont bien d'accorder de nouveaux prêts. Dans la pratique, les liquidités pour de nouveaux investissement feront défaut justement dans les pays qui en ont plus besoin pour se redresser, le spread montera et l'Allemagne commencera à construire sa forteresse avec une poignée de pays du Nord (et de l'Est) européen. Plus même :  étant donné le poids croissant du « service de la dette » (les intérêts à payer avec les coupons) les comptes des pays les plus faibles, très relativement ajustés au coût du sang et des larmes, seront de nouveau déséquilibrés. Tout en déclenchant inévitablement de nouvelles vagues d'austérité génocidaire.
Un pas en avant vers la rupture de l'Union Européenne et de l'euro, mais mise en œuvre par le haut.
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